L'installation interactive : |
Louise Boisclair |
Quel impact le dispositif interactif artistique exerce-t-il sur la perception? 1 Cette question, telle un koan, est apparue à la fréquentation d’œuvres interactives d’abord sur le Net puis en installation. Comment éviter de normaliser les procédés interactifs à notre insu, afin de saisir les modalités sensoriperceptives en jeu? Le rapport entre le geste interfacé, la mise en œuvre et les modalités perceptuelles du corps appareillé sont l’objet de cette étude. TED talk de Golan Levin, 2009
Expérience perceptuelle d’un nouveau genre, la traversée de l’installation interactive 2 repose sur le paradoxe suivant. L’installation interactive dépend du geste interfacé – un geste assisté d’une interface sur le corps, à distance ou à proximité et relié à un système technologique – pour déployer l’activité qu’elle propose et qu’il redéfinit. Après coup, une fois le corps délesté de l’appareillage, la réflexion débusque non seulement les nouvelles modalités perceptuelles et sensorielles que l’immersion dans le lieu et la négociation avec le dispositif induisent, mais, par ricochet, met en relief les modalités habituellement inconscientes du corps propre. 3 Théorisation ancréeApproche à la première et troisième personneExpérience esthétique en trois tempsLaboratoire de comportements perceptuels
NOTE(S) 1 Ce texte survole certains aspects de ma recherche doctorale en sémiologie dont le titre de travail de ma thèse est : « La traversée de l’installation interactive : une expérience de perception assistée du geste interfacé ». Dirigée par Catherine Saouter, professeur de l’École des médias à l’UQAM et spécialiste en sémiotique visuelle, je bénéficie également de l’expertise des chercheurs rassemblés dans divers groupes de recherche internationaux, dont Performativité et effets de présence de l’UQAM et SenseLab, a laboraty of thought in motion de l’université Concordia. 2 Dans l’édition de juillet 2010 d’Archée, mon texte intitulé: « Qu’est-ce que l’interactivité modifie dans notre appropriation des images ? » examine d’autres aspects de l’impact de l’interactivité. 3 Corps propre désigne le corps charnel contenu à l’intérieur de la peau, son enveloppe. Les travaux en épistémologie du corps de Bernard Anzieu, de neurophysiologie de la perception du corps en acte d’Alain Berthoz ainsi que la phénoménologie de Merleau-Ponty, Husserl étudient sous différents angles d’attaque le corps propre et ses relations avec le monde. 4 Les trois axes de recherche et d'enseignement privilégiés au doctorat en sémiologie de l’UQAM sont : - Signe : théories et histoire; - Pratiques sémiotiques; - Signes, imaginaire et culture. Cette thèse se situe dans l’axe des pratiques sémiotiques avec un accent multidisciplinaire et une théorisation ancrée dans l’expérimentation. 5 Mon corpus d’analyse comprend quatre installations interactives (de Rokeby, Béchard & Hudon, Dubois, Guibert) qui représentent quatre types d’œuvres regroupées en vue de proposer une nouvelle typologie. De nombreuses œuvres interactives citées en cours de route tissent en arrière-plan la toile de références. 6 Voir Depraz (2003, 2006, 2009), Petit-Mengin (2006) et Andrieu (2011) qui mettent de l’avant l’utilisation du récit à la première personne, en complément du récit à la troisième personne. 7 La sémiotique du sensible élaborée par Jacques Fontanille (2004, 2011) entre autres replace le corps au centre de la recherche en tant que « siège, vecteur et opérateur de la sémiose »(2011, 13). Dans le cadre de l’installation interactive, l’expression « opérateur de la sémiose » prend non seulement un sens figuré mais véritablement un sens propre. 8 Voir Rizollati, 2006. La découverte des neurones miroirs en 1996 chez les singes macaques par une équipe italienne sous la direction de Rizollati, suivie d’une expérience canadienne chez l’humain, révèle que lorsque des singes observent le mouvement d’un autre singe, les neurones d’une partie de leur cerveau s’activent comme lorsqu’ils exécutent eux-mêmes ce mouvement. Une piste de recherche s’ouvre ainsi sur le rapport entre faire et voir faire, inscrit au niveau neuronal, qui se retrouve possiblement dans le mécanisme de l’empathie. Il y a déjà 15 ans, dans la foulée de cette découverte, Berthoz avance « l’existence d’un répertoire de préperceptions lié à un répertoire d’actions, grâce auquel, nous le soutiendrons, le cerveau peut simuler des actions pour en prédire les conséquences et choisir la plus appropriée » (Berthoz, 1997, 27). 9 La notion d’interprétant provient de la définition du signe de Peirce qui repose sur la triade constituée du representamen, de l’objet et de l’interprétant : « Un signe ou representamen, est quelque chose qui tient lieu pour quelqu’un de quelque chose sous quelque rapport ou à quelque titre. Il s’adresse à quelqu’un, c’est-à-dire crée dans l’esprit de cette personne un signe équivalent ou peut-être un signe plus développé. Ce signe qu’il crée, je l’appelle l’interprétant du premier signe. Ce signe tient lieu de quelque chose : de son objet. Il tient lieu de cet objet, non sous tous rapports, mais par référence à une sorte d’idée que j’ai appelée quelquefois le fondement du representamen. » (Peirce, 1976, 121) Toutefois, la notion d’interprétant mérite d’être rapprochée du concept d’encyclopédie chez Eco : « [L’encyclopédie] est l’ensemble enregistré de toutes les interprétations, concevable objectivement comme la bibliothèque des bibliothèques, quand bibliothèque veut dire aussi les archives de toute l’information non verbale enregistrée d’une manière ou d’une autre, des peintures rupestres aux cinémathèques. » (1988, 110) 10 Dans un ouvrage intitulé Plus sur Husserl. Une phénoménologie expérientielle, Depraz (2009) développe le processus de lecture expérientielle à partir des écrits de Husserl, qu’elle différencie de la lecture herméneutique. «Bref, le fonctionnement langagier du phénoménologue est bel et bien pragmatique : on y cerne en acte, à savoir sur un mode immanent, les degrés de croyance à titre de modalisations d’être différenciées, par contraste à sa forme mère, à savoir la certitude qualifiée d’originaire. » (p. 103) J’adapte cette lecture expérientielle à la traversée de l’installation interactive qui épouse la subjectivité de chacun tout en révélant un trajet type. 11 Neurophysiologie, phénoménologie pragmatique et sémiotique comptent parmi les disciplines et les méthodologies qui contribuent à l’interdisciplinarité de cette thèse en plus des écrits ou commentaires venant des artistes eux-mêmes. 12 Notion développée par Pomian (1997), sémiophore signifie porteur de signes. Elle se prête particulièrement aux installations interactives dans la mesure où des objets, des choses, se révèlent porteurs non seulement de signe mais de possibilité d’action en tant qu’interface reliée au dispositif.
NOTICE BIOGRAPHIQUE Auteure-chercheure, Louise Boisclair a publié de nombreux articles pour Archée, INTER art actuel, Le Magazine du CIAC, Nouveaux Actes Sémiotiques, Vie des Arts et Parcours. Outre ses travaux plastiques (peinture gestuelle et mandala) et littéraires (texte court, poésie, essai), elle a créé et réalisé une cinquantaine de vidéos dont quatre primés, le film d’art expérimental, Variations sur le hook up, le mémoire-création, Variations sur le dépassement suivi de L’écho du processus de création, et le prototype du conte visuel interactif, Variations sur Menamor et Coma et Vitrine Cosmos. Doctorante en sémiologie à l’UQAM, elle complète une thèse sur l’installation interactive et l’expérience de perception associée au geste interfacé. Elle est membre du groupe Performativité et effets de présence et participe aux rencontres du Sense Lab.
RÉFÉRENCES (liste courte) INSTALLATION INTERACTIVE Cron, Marie-Michèle. 2010. Les arts numériques à Montréal : Création/innovation/diffusion. PHÉNOMÉNOLOGIE (PRAGMATIQUE) Andrieu, Bernard (dir.). 2011. Le corps du chercheur. Une méthodologie immersive, Nancy, Presses universitaires de Nancy.
NEUROPHYSIOLOGIE ET CORPS Andrieu, Bernard. 2011. Les avatars du corps. Une hybridation somatechnique. Montréal : Liber, 157 p. SÉMIOTIQUE VISUELLE ET SENSIBLE Eco, Umberto. 1988. Le signe. Coll. « biblio essais ». Bruxelles : Ed. Labor 285 p. Eco, Umberto. 1988. Sémiotique et philosophie du langage. Paris : PUF. EXPÉRIENCE ESTHÉTIQUE Dewey, John. 2010 (1934). L’art comme expérience. Paris : Folio essais, 596 p. ARTICLES LIÉS À LA THÈSE Boisclair, Louise. 2012. « Joueur et personnage aux prises de l’acteur virtuel : L’Homme à la caméra de Vertov recalculépar Mécanique générale de Thierry Guibert », L. Poissant et R. Bourassa (dir.), Agents, avatars et acteurs virtuels : pratiques performatives. Tome II. Coll. « Esthétique ». Québec, Presses de l’Université Laval, 20 p., à paraître.
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